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Sénèque
Lettres à Lucilius
LIRE, ÉCRIRE
« La lecture nourrit l’esprit …. Il ne faut se borner à pratiquer ou l’écriture ou la lecture : Il faut passer de l’une à l’autre et trouver un équilibre entre les deux ; ainsi tout ce que la lecture a recueilli, l’écriture le rassemblera dans une composition. Nous devons imiter les abeilles : elles volent de fleur en fleur et choisissent celles qui leur permettra de faire le miel ; ensuite, elles disposent et répartissent dans les rayons tout ce qu’elles ont rapporté.
Nous devons imiter les abeilles, en mettant de côté tout ce que nous avons récolté au cours de nos diverses lectures – car ce qu’on sépare se conserve mieux. Puis, il faut appliquer tous nos soins et toute notre intelligence à rassembler ces multiples trouvailles pour leur donner une seule et même saveur. Ainsi, même si l’on reconnaît l’origine, le résultat aura néanmoins un goût différent : c’est ce que la nature accomplit, sans aucun effort de notre part, dans notre propre corps. Les aliments que nous absorbons nous pèsent, tant qu’ils gardent leur forme première et séjournent entiers dans l’estomac ; mais quand ils se transforment, ils passent dans le sang et nous donnent des forces. Faisons de même pour les nourritures spirituelles : ne laissons pas intactes celles que nous avons absorbées, de peur qu’elles ne nous restent étrangères. Digérons-les ; sans quoi, elles iront se loger dans la mémoire, non dans l’intelligence. Tâchons de les bien comprendre et faisons-les nôtres, afin que de la multiplicité naisse l’unité : de même un nombre naît-il de plusieurs autres, quand on les additionne entre eux. Notre esprit doit procéder à cette opération : il doit élaborer le résultat, qui seul doit apparaître au grand jour. Même si on trouve une ressemblance ente toi et l’auteur que tu as placé sur un piédestal, je veux que tu lui ressembles comme un fils et non comme un portrait : un portrait est une chose morte ! »